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A Avignon, « Elizabeth Costello » ou les leçons existentielles de Krzysztof Warlikowski

Avignon, combien de bataillons ? Il y a eu de la désertion dans les rangs de la Cour d’honneur du Palais des papes, au fil de la nuit du 16 au 17 juillet. Pourtant, la soirée était belle et voyait le retour au Festival, après plusieurs années d’absence, du grand metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, adulé des amateurs de théâtre. Pourtant, cette nouvelle création, Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, est absolument magnifique. Les quatre heures de spectacle en polonais surtitré ? La fatigue de fin de festival ? Plus sûrement, la soirée a dérouté une partie du public.
Déroutante, l’héroïne qui donne son titre au spectacle l’est, ô combien. C’est d’ailleurs ce qui fait son charme. Elizabeth Costello, double fictif de l’immense auteur sud-africain J. M. Coetzee (prix Nobel de littérature en 2003), ne se laisse pas facilement attraper, à l’image de son créateur. Au fil des livres dans lesquels elle apparaît – Elizabeth Costello (Seuil, 2003), L’Abattoir de verre (Seuil, 2018) et L’Homme ralenti (Seuil, 2006) –, Coetzee en propose un portrait diffracté mais infiniment émouvant, sur la figure de l’écrivain comme vigie de l’espèce humaine, comme « secrétaire de l’invisible ».
L’invisible est aussi ce que Warlikowski s’attache à faire sourdre comme un sourcier, et cela peut également dérouter ou désappointer. Rien de spectaculaire dans cet Elizabeth Costello, y compris par rapport à d’autres spectacles du metteur en scène comme (A)pollonia, présenté dans la Cour d’honneur en 2009 et qui se confrontait à l’histoire de la Pologne et de la Shoah.
Elizabeth Costello, célèbre écrivaine australienne, passe une partie de sa vie à voyager dans le monde entier, souvent accompagnée par son fils, astrophysicien dans une université américaine, pour participer à des conférences. Elle y prend la parole sur des sujets comme le réalisme, la condition animale ou la représentation du mal. Une parole souvent dérangeante, voire embarrassante, jamais convenue. Une parole qui sans cesse cherche à rester droite sur son impératif moral – le sous-titre de « contes moraux » n’a rien d’ironique chez Coetzee – et se heurte, de ce fait, à l’incompréhension ou l’hostilité, Costello dérangeant tout un chacun dans ses petits arrangements avec l’existence.
Elle est multiple et une, une fiction qui révèle la part de fiction en nous, et c’est bien ainsi que Warlikowski la montre, en diffractant son « rôle » entre six actrices et un acteur, glissant de plus au cœur de son spectacle la figure de la plasticienne Sophie Calle, autre exploratrice des pôles magnétiques du réel et de la fiction. Ce qui pourrait paraître abstrait s’incarne avec maestria au fil d’une représentation qui se déploie avec l’évidence d’un rêve en suspens, où Warlikowski décline, sans esbroufe, une grammaire scénique aussi sophistiquée que simple en apparence – superbe traduction de l’art de Coetzee lui-même.
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